Histoire - N°132 - Octobre/Novembre 2014

Le Pistolet pour le moral des blessés

Le casino municipal de Royan, comme d’autres lieux dans la ville, est transformé, dès septembre 1914, en hôpital pour recevoir de nombreux blessés qui affluent vers la station balnéaire. En mai 1915, son directeur a l’idée de publier à leur attention une feuille humoristique qu’il appelle Le Pistolet.

Dès de début de la guerre, l’armée organise des hôpitaux à l’arrière des zones de combat. Mais devant le nombre important de blessés, la nécessité d’avoir des hôpitaux militaires ne cesse d’augmenter. Un article de l’Illustration de septembre 1915 donne le chiffre de 5 000 hôpitaux sur le territoire français pour une capacité d’accueil de 600 000 lits. En réalité ce seront près de 10 000 hôpitaux et annexes qui seront organisés dans près de 3 500 communes. De nombreux lieux disparates vont faire office d’hôpital. Des lycées, des usines, des églises, des temples maçonniques, des châteaux, des bourses du travail et des casinos seront ainsi transformés pour accueillir les blessés du front. Royan, par sa position naturelle à l’arrière et par sa capacité à accueillir des convalescents dans sa station balnéaire, est toute disposée à jouer un rôle dans la guerre. De nombreux hôpitaux apparaissent à la structure différente. Il y a des hôpitaux complémentaires placés directement sous le contrôle du service de santé, des hôpitaux auxiliaires gérés par la Croix Rouge française ou par une association affiliée à elle, des hôpitaux bénévoles d’initiatives privées et enfin des hôpitaux dépôts de convalescents. La ville dispose de toutes les catégories. Dès la fin août 1914, un hôpital auxiliaire est aménagé dans l’ancien casino de Foncillon. Il vient en aide au seul hôpital de la ville, l’hôpital mixte Marie-Amélie. Un second est aménagé dans la maison de santé Amiot à Foncillon pendant toute la durée des hostilités. Un autre, plus éphémère, s’installe au Royal Hôtel. Un dépôt de convalescents est également aménagé dans la caserne Champlain. Deux autres hôpitaux complémentaires apparaissent. Un s’installe à l’Institut  collégial qui accueille plus spécialement les blessés musulmans. Le grand casino municipal devient d’abord un hôpital bénévole ouvert le 1er septembre 1914 jusqu’en juillet 1915 puis hôpital complémentaire jusqu’en décembre 1915 avant de retrouver sa vocation de salle de spectacles au profit des blessés de la guerre. En mai 1915, le directeur de l’hôpital a l’idée de publier une feuille humoristique qu’il appelle Le Pistolet, non en référence à l’arme des militaires mais plutôt à cet objet indispensable aux blessés dans leur lit. Ce terme ayant l’avantage d’avoir cette double interprétation possible, militaire et médicale. Ces parutions en temps de guerre ne sont pas rares mais on les retrouve d’ordinaire plus souvent dans les zones de combats. Dès l’automne 1914, au moment où les opérations militaires se stabilisent dans les tranchées, des feuilles se créent au hasard des affectations et des offensives, sur le front occidental comme sur le front d’Orient. Ce sont des gazettes d’unités combattantes, de sections spéciales (ambulance, ravitaillement, etc.), des bulletins de liaison entre poilus de même origine. Aux titres évocateurs, La Bombe, Bombes et Pétards, L’écho des Dunes, L’éclat, L’étoupille, L’explosif, La fusée à retards, ces journaux de tranchées ne dépassent pas généralement quelques numéros. 

C’est également le cas du Pistolet édité au casino municipal de Royan. Seulement cinq numéros sont imprimés entre le 1er mai 1915 et le 30 mai jusqu’au départ du directeur de la publication, Léon Michel. Dans le premier numéro, l’édito informe les lecteurs sur l’objectif poursuivi par la création de ce journal interne : «Vous allez vous demander quelle est la raison qui nous pousse à faire paraître cette feuille ? Elle est simple. Dans les moments si pénibles que nous traversons, tous les yeux se tournent vers ceux qui défendent si courageusement le sol de notre pays de France ou plus spécialement même vers ceux qui, le devoir accompli, pansent maintenant leurs blessures dans les hôpitaux de la Croix Rouge. Pourtant si nos blessés font l’objet d’une considération toute spéciale pour laquelle on s’efforce de leur faire oublier les souffrances, ils ont chez eux des moments où la tristesse et la mélancolie viennent les trouver à leur lit de douleur. C’est dans ces moments-là que notre feuille qui n’a pas d’autres prétentions que de faire rire, à ces moments-là dis je, notre feuille viendra troubler dans leurs rêveries ces braves qui ont versé de leur sang pour la défense de notre mère patrie. Mais pour faire rire par la plume il faut être mordant, incisif, piquant, sur le vif de certaines choses, voire même certaines personnes. Donc, si par ces moyens j’arrive à le faire rire (…) si ce rire que je m’efforcerai de provoquer affleure ses lèvres, ce sera pour moi la meilleure récompense.»

Le ton de l’humour est donné tout de suite sur la publicité qui suit l’édito pour un fabricant de bras et de jambes artificiels, T. MALBATI, 14 rue Béquille à Paris ou encore «une béquille a été perdue sur la plage face au casino. La rapporter au bureau du journal». Quelques blagues sur le nom du journal : Pourquoi les infirmiers ne sont-ils pas armés ? Parce qu’ils ont le pistolet ; Pourquoi appelle-t-on cet instrument des infirmiers, pistolet ? Parce qu’il sert à ceux qui pissent au lit ; Quel rapprochement y’a-t-il entre l’imprimeur, l’instituteur et l’infirmière ? L’un fait des affiches, l’autre l’école et l’infirmière les lits.

Dans le second numéro du 8 mai 1915, le directeur rend hommage dans son édito au formidable travail des infirmières à l’occasion du départ de deux d’entre elles. Puis il reprend ce thème avec humour : «Regrettable accident. Une demoiselle infirmière au casino était occupée à couper une bande. Soudain elle fut distraite par l’apparition d’un beau monsieur et… se fit une blessure de guerre au pauvre doigt. Son état n’est pourtant pas désespéré.» Certains blessés et des infirmières font part à Léon Michel de leurs poèmes que ce dernier publie dans sa feuille ou bien sur un tiré à part. La rubrique du communiqué officiel est transposée à la situation de l’hôpital (hier soir 15 heures) : Sur tout le front… des lits, bonne température, le moral de nos blessés reste excellent. Quelques opérations, menées habilement, ont complètement réussi (n° 1) ; communiqué officiel (8 heures) : Sur tout le front des lits, attaque de nuit, de nombreux polochons tombèrent entre nos mains mais… La censure nous coupe notre information (n° 3).

D’autres blagues sont plus triviales : «Dans un hôpital le major s’adresse à un blessé qui vient d’arriver. Votre nom ? Ducoq M’sieur l’Major! ..C..O..Q ? Non M’Sieur l’Major, c’est au bras» (n° 3).

Le numéro 5 du 30 mai 1915 est la dernière feuille éditée : «Voici encore Le Pistolet, cinquième et dernier numéro, malheureusement. En effet le directeur du journal étant sur le point d’être dirigé sur un hôpital avec quelques camarades pour laisser ainsi place au prochain convoi de blessés.» 

Léon Michel remercie le très sympathique caissier du casino qui s’est mis à sa disposition pour l’impression de cette feuille et termine son dernier édito de façon poétique : «Cette feuille n’avait qu’un but, je le répète, c’était de faire rire… et elle aura vécu ainsi ce que vivent les roses : l’espace d’un instant.»

Christophe Bertaud

Illustration : Sur cette carte photo datée du 6 février 1915, un certain Raymond donne des nouvelles rassurantes à ses parents. (Coll. privée)
 
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