Culture - N°182 - Février/Mars 2023

Livres

Le centre socioculturel de Royan, situé dans le quartier de Marne-Yeuse, et l’association de passionnés d’architecture des années 1950 Artichem ont mis en commun leurs documents d’archives pour réaliser un livre retraçant l’histoire de ce quartier situé à l’entrée de Royan. Lieu de passage, traversé à l’entrée de la ville, il a été marqué lors de la reconstruction après la Seconde Guerre mondiale par la création de cités d’urgence, cités de la reconstruction et logements sociaux. Rappelons qu’à la fin de la guerre plus de 85 % du centre-ville de Royan est détruit. Il faut d’abord déblayer les ruines, étayer les immeubles dégradés et déminer. Cela prend trois ans. Pendant ce temps, un architecte en chef est nommé. Il s’agit de Claude Ferret. Il conçoit le nouveau plan d’urbanisme et définit les règles architecturales de la reconstruction. L’urgence du relogement fait apparaître des constructions en bois individuelles dès 1945. Puis, en 1946, des cités provisoires de baraquements, dites d’urgence, et des cités de logements économiques de première nécessité, utilisant des matériaux de récupération sur des fondations pérennes. À partir de 1954, des cités dites de reconstruction sont érigées pour loger le plus grand nombre de personnes. En 1955, le quartier de Marne-Yeuse abrite cinq cités : Faupigné, la cité Noire, la cité Grise, la cité Blanche et la cité des 24 Maisons. « Vont ainsi coexister pendant plusieurs décennies […] des baraquements en bois, des pavillons entièrement préfabriqués, ainsi que des constructions mixtes (fondations en dur et éléments de récupération) et des pavillons en dur avec éléments de construction standardisés », expliquent les auteurs.

C’est dans le cadre de ce besoin de logements que Jean Prouvé fait édifier la maison Métropole en 1951. Son dernier propriétaire, Didier Quentin, ancien maire de Royan, la vendra et la fera démonter en 2017.

Les auteurs parcourent les rues de la ville et s’appuient sur de nombreux documents (photos de bâtiments, de mobiliers, plans de quartiers, portraits d’habitants…) d’archives et actuels afin d’expliquer l’architecture, son évolution, ses transformations, et comprendre comment vivaient les familles relogées. L’ouvrage fait également la part belle aux témoignages des habitants. Le but est de « sensibiliser davantage public et habitants pour comprendre l’intérêt de préserver la spécificité du patrimoine bâti du quartier de Marne-Yeuse, afin de le mettre en valeur ». Et c’est très réussi.

Royan – Construire dans l’urgence – Quartier Marne-Yeuse 1945/1940, éd. La Geste, 184 pages, 20 €

 

Aurions-nous entre les mains l’ouvrage ultime pour tout connaître de l’estuaire de la Gironde ? En tout cas nous pouvons reconnaître la somme phénoménale du travail nécessaire à la publication d’un tel ouvrage – faisant partie des Cahiers du patrimoine fait par l’Inventaire général de la Région Nouvelle-Aquitaine qui recense, étudie et fait connaître le patrimoine de la France. Comme indiqué dans la présentation de ce livre à propos de l’estuaire, « cet espace fluvio-maritime demeure méconnu et, par son immensité, difficile à cerner. Cet ouvrage propose un regard à la fois global et précis sur ce milieu singulier, ses paysages, son patrimoine. »

Il faut dire, en premier lieu, que s’y trouvent trois sites inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco : la basilique Notre-Dame-de-la-Fin-des-Terres à Soulac-sur-Mer, le verrou de Vauban à Blaye et Cussac-Fort-Médoc et le majestueux phare de Cordouan.

La première partie du livre aborde les aspects paysagers singuliers du territoire (vignes, plages, falaises, forêts, marais…), l’archéologie (452 entités archéologiques recensées), la cartographie ancienne (cartes des xvie et xviie siècles), les représentations artistiques (lithographie du port de Royan en 1776, de la plage de Royan en 1830, les tableaux de la côte de Vallières par Courbet et Redon…).

L’aspect stratégique est ensuite traité avec la présence de nombreux châteaux (Blaye, Talmont, Saint-Seurin et tant d’autres) puis des fortifications aux xviiie et xixe siècles. Durant la Seconde Guerre mondiale, les nazis vont ériger un nombre important de constructions de défenses.

Le chapitre suivant évoque la maîtrise du territoire par la signalisation pour assurer la navigation, avec l’histoire du phare de Cordouan puis ceux de tout l’estuaire au xixe siècle. Au Moyen Age et à partir de la fin du xvie siècle, des travaux sont entrepris (canaux…) afin d’assécher les marais à des fins agricoles ou autres. D’autres travaux vont être entrepris tout au long des siècles pour limiter l’érosion des côtes ou l’ensablement des terres.

Les auteurs reviennent également sur l’habitation de ces terres au fil des siècles. Par exemple, l’ermitage rupestre de Mortagne, creusé dans la falaise, aurait été habité dès le début de l’ère chrétienne. Ensuite, « les agglomérations estuariennes sont généralement des créations médiévales, constituées autour d’édifices religieux », comme à Talmont. La présence protestante a également apporté un patrimoine singulier important, tout comme la spécificité de la production viticole, organisée en domaines. Les villes et villages estuariens bénéficient de la prospérité agricole des rivages. Les ports fluviaux ouvrent vers le marché bordelais et le commerce atlantique. L’habitat troglodytique, comme à Meschers, et les villas balnéaires, comme à Soulac ou Royan, sont des particularismes de la région.

L’estuaire est également un territoire d’échanges, par les ports bien sûr (industriels, de pêcheurs, ou de plaisance), mais aussi grâce aux chenaux des marais. La traversée de l’estuaire se fait d’abord par des bateliers puis grâce aux bateaux à vapeur, comme pour assurer la traversée entre Le Verdon et Royan. Des ponts et un tunnel ont même été envisagés pour relier les deux rives.

Le sel, l’ostréiculture et la pêche sont une partie importante de l’économie estuarienne. Des carrières exploitent la pierre. Des moulins, à vent ou à eau, à l’aide des chenaux, broient les céréales avant le développement de la viticulture. En lien avec le développement des ports, les industries de la métallurgie et des hydrocarbures se développent dans la seconde moitié du xixe siècle. Des centrales électriques sont installées et en 1976 débutent les travaux de la centrale nucléaire du Blayais, sur la commune de Braud-et-Saint-Louis.

Tous ces aspects de l’estuaire, et bien d’autres encore, sont abordés, détaillés, illustrés, commentés dans ce beau livre à la réalisation parfaite.

Estuaire de la Gironde, deux rives, un territoire, coll. « Cahiers du patrimoine » de l’Inventaire général du patrimoine culturel de la Région, éd. Le Festin, 368 pages, 33 €

 

Après les frégates (CB n° 168), les sous-marins (CB n° 172) et les galères, la collection de beaux livres dessinés « À bord » s’enrichit d’un titre consacré à la grande pêche. Les talentueux et prolifiques auteurs Jean-Yves Delitte, peintre officiel de la Marine et créateur de fresques maritimes en bandes dessinées, et Jean-Benoît Héron, illustrateur invité permanent de l’Académie de Marine, présentent l’histoire des marins-pêcheurs qui nourrissent les populations dans tous les ports à travers le monde. Ce n’est pas une encyclopédie qui serait impossible à faire sur tous les bateaux de pêche, mais la présentation de ces bateaux qui partent pour des semaines ou des mois pour ramener harengs, morues et thons. Ce livre est aussi un hommage à « la grande pêche [qui] fut et reste l’œuvre de grands marins, d’aventuriers, de seigneurs, d’hommes d’une force de caractère exceptionnelle, bravant météo menaçante, parages et mers hostiles, fiers de leur rude métier, pour rapporter du poisson », comme le dit Xavier de la Gorce, président de l’Académie de marine, dans la présentation.

Après un retour sur l’histoire de la pêche, la première partie est consacrée au hareng « qui fut probablement la première espèce pêchée en masse et de manière quasi industrielle » nous expliquent les auteurs. Espèce très présente dans les mers froides, « les côtes de Flandres, de Calais à Blankenberge, vont devenir des ports spécialisés dans la pêche au hareng » et donner naissance à un nouveau métier : celui de marin-pêcheur. Dès la fin du xive siècle, on réglemente sur la taille des mailles des filets et les périodes de pêche afin d’en assurer la pérennité. C’est à cette époque aux Pays-Bas que sont construits les premiers bateaux spécialisés dans cette pêche. En Normandie, Fécamp « sera l’un des principaux ports d’armement pour la pêche harenguière jusqu’au xviie siècle ».

Egalement pêchée dans les eaux froides des mers du Nord (essentiellement en Islande et au large de Terre Neuve aux xve et xvie siècles), la morue (ou cabillaud) se diffuse rapidement car elle peut être facilement conservée en la salant. En France, des goélettes ont été construites pour cette pêche. On peut encore voir l’Etoile et la Belle Poule lors des grands rassemblements maritimes.

La pêche au thon rouge est une pêche ancestrale remontant à plusieurs millénaires avant notre ère en Méditerranée. La pêche, longtemps surexploitée, y est maintenant très réglementée et 10 % proviennent de l’Atlantique. Le thon blanc, ou germon, est pêché sur des chaloupes dès le xviiie siècle par les Basques et autour de l’île d’Yeu, sur les routes de migration de l’espèce, puis se développe sur tous les ports de la façade atlantique avec l’utilisation de la conserve au début du xixe siècle. Ce sont des voiliers de type dundee, d’une vingtaine de mètres, qui sont alors utilisés pour cette pêche.

Les auteurs terminent en abordant la chasse à la baleine pratiquée par les Basques alors que les cétacés empruntent le gouf de Capbreton lorsqu’ils redescendaient des mers du Nord devenues trop froides. Les baleiniers basques étaient des trois-mâts d’une trentaine de mètres spécifiquement équipés, entre autres, de chaudrons en fonte pour faire fondre la graisse des mammifères marins capturés.

La description de l’histoire et de l’évolution de ces pêches est passionnante et remarquablement illustrée.

À bord – La grande pêche, Jean-Yves Delitte et Jean-Benoît Héron, éd. Glénat, 96 pages, 25 €

 

Les amateurs de belles bandes dessinées d’aventures en mer tirées de faits réels seront ravis de découvrir deux nouvelles publications chez Glénat, chacune en deux tomes.

Le très bel album, à la finition luxueuse, 1629, inspiré de faits réels, revient sur « le thriller maritime le plus impitoyable de l’histoire » d’après l’éditeur. Cette année-là, La Compagnie néerlandaise des Indes Orientales affrète le Jakarta à destination de l’Indonésie avec dans ses soutes assez d’or et de diamants pour corrompre l’Empereur de Sumatra. À son bord, plus de 300 personnes issues de la misère et des bas-fonds d’Amsterdam. La violence des officiers et la présence du trésor attisent la tentation d’une mutinerie qu’un homme, Jeronimus Cornelius, numéro deux à bord, qu’on dit cultivé et intelligent mais ruiné et cupide, va vouloir déclencher. Au milieu de ce tableau sordide, une belle femme issue de la haute société est à bord pour rejoindre son mari. Proche du commandant, elle représente le dernier rempart « contre celui qui est probablement un des pires psychopates que l’histoire ait connus ». Fascinant et immersif.

L’autre album est celui qui revient sur la vie d’Olivier Levasseur, dit La Buse. En 1714, la guerre de Succession d’Espagne prend fin et de nombreux corsaires se retrouvent sans employeurs lors de cette période de paix qui semble s’installer pour plusieurs années. Levasseur, en quête de richesses, ne s’y résout pas et devient un pirate. Dans ses prises, le Nossa Senhora do Cabo, un vaisseau portugais qui a dans ses cales une décennie de trésors accumulés par le vice-roi portugais des Indes Orientales. À l’été 1730, parce qu’il a refusé le pardon du roi qui lui imposait de restituer les fortunes prises, Levasseur est arrêté et conduit à l’échafaud…

Une incroyable aventure sous le coup de crayon précis de Jean-Yves Delitte.

1629… ou l’effroyable histoire des naufragés du Jakarta (tome 1), Xavier Dorison et Thimothée Montaigne, éd. Glénat, 136 pages, 35 €

La Buse – La chasse au trésor, Jean-Yves Delitte, éd. Glénat, 48 pages, 14,50 €

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